Le Département d’études allemandes est l’héritier d’une longue et prestigieuse tradition de l’étude de la langue, de la littérature et de la civilisation des pays germanophones à l’université de Strasbourg. Intimement liées à l’histoire de la ville et, plus globalement, à celle des relations franco-allemandes, les études d’allemand s’institutionnalisent dès 1872 avec la création, à la Kaiser-Wilhelms-Universität, d’un « Germanistisches Seminar » et de deux chaires de philologie, occupées jusqu’en 1877 par Wilhelm Scherer (1841-1886), spécialiste de l’histoire de la langue et de la littérature, et Elias Emil von Steinmeyer (1848-1922), spécialiste d’histoire de la langue qui fut à l’origine de la conception du Althochdeutsches Wörterbuch (1952-2019svv.). Le premier fut remplacé par Ernst Eduard Martin (1841-1910), auteur, avec son assistant Hans Lienhart, du Dictionnaire des parlers alsaciens (Wörterbuch der elsässischen Mundarten, 2 tomes ; 1899/1907) ; le second, par Erich Schmidt (1853-1913), élève de Scherer, auquel succéda, en 1880, un autre de ses élèves, Rudolf Henning (1852-1930), qui, durant sa longue carrière strasbourgeoise (de 1881 à 1918), fut également Doyen de la « Philosophische Fakultät » en 1898-1899 et 1907-1908. Conformément à l’objectif affiché par l’État allemand, la philologie allemande devait, notamment grâce à l’étude et la diffusion de contes, légendes et traditions régionales, contribuer à (ré)intégrer la population du Reichsland dans l’espace culturel allemand[1]. Fermement ancrée dans la tradition philologique allemande, la naissance de la germanistique moderne à Strasbourg se caractérise ainsi par une forte orientation régionale à visée patriotique, des projets scientifiques de grande envergure ainsi qu’une large continuité dans la recherche entre maîtres et élèves.
En 1919, l’université de Strasbourg, redevenue française, se dote d’un « Institut d’études germaniques », hébergé dans la nouvelle Faculté des lettres. Celui-ci, tel un ‘phare sur le Rhin’[2], devait contribuer, par l’étude de la langue et la culture allemande, à observer et mieux connaître le voisin d’outre-Rhin, condition préalable à toute relation diplomatique avec l’ancien ennemi. Avec quatre chaires, l’Institut fut le principal centre des études allemandes en France jusqu’au début des années 1930, période à laquelle la concurrence de la Sorbonne se fait sentir. Si la philologie y conservait une place importante, l’heure était à l’ouverture à l’étude de l’Allemagne contemporaine sous toutes ses facettes, suivant la voie tracée par les deux pères fondateurs de la germanistique à l’université française, les Alsaciens Henri Lichtenberger (1864-1941) et Charles Andler (1866-1933)[3]. Ainsi, à côté de la chaire de littérature allemande médiévale et classique et de celle de philologie allemande et dialectologie alsacienne attribuées respectivement à Ernest Tonnelat (1877-1948) et Ernest-Henri Lévy (1867-1940)[4], furent créées une chaire de littérature moderne, occupée par Jean-Édouard Spenlé (1873-1951), et une de civilisation allemande contemporaine que fera vivre Edmond Vermeil (1878-1964). Les contacts avec le Centre d’Études Germaniques, fondé à Mayence en 1921, furent nombreux et féconds jusqu’à son rapatriement à Strasbourg en 1930.
Par la suite, plusieurs chercheurs de renom contribuèrent à faire de Strasbourg un des hauts lieux de la recherche en germanistique. Pour la littérature, on citera, entre autres, l’éminent Albert Fuchs (1896-1983 ; en poste de 1936 à 1966), spécialiste de Goethe (déporté à Ravensbrück durant la 2e Guerre mondiale), Alfred Schlagdenhauffen (1893-1986 ; en poste de 1937 à 1964), connu surtout pour ses travaux sur la littérature romantique et sur les frères Matthis, Gonthier-Louis Fink (1928-2022 ; en poste de 1967 à 1993), qui s’illustra dans le domaine de la littérature des XVIIIe et XIXe siècles et fonda en 1971 la revue Recherches germaniques[5], et Adrien Finck (1930-2008, en poste de 1973 à 1996), spécialiste de la poésie de langue allemande et de la littérature régionale[6]. Dans le domaine de la civilisation, Hildegard Châtellier (1936-2014, en poste de 1989 à 2001) était spécialiste d’histoire des idées politiques, Denis Goeldel (*1938, en poste de 1981 à 2004), doyen de la Faculté dans les années 1980 puis directeur de l’Institut universitaire de formation des maîtres de l’Académie de Strasbourg de 1991 à 2001, était quant à lui spécialiste de civilisation contemporaine. Parmi les chercheurs à cheval sur la littérature et la civilisation, on citera Roger Bauer (1918-2005, en poste de 1965 à 1969), qui fut également directeur du Centre d’Études Germaniques de Strasbourg de 1966 à 1969, et Frédéric Hartweg (1941-2021, en poste de 1983 à 2006), éminent spécialiste de langue et culture de la période du haut-allemand précoce. Nommé maître de conférences en 1934 puis professeur en 1938, Jean Fourquet (1899-2001), qui assura la transition entre la philologie historique de l’allemand médiéval et la linguistique moderne, est aujourd’hui considéré comme le père de la germalinguistique française ; après son départ à la Sorbonne en 1955, il fut remplacé par Jean Charier (1915-1998?), spécialiste du germanique, auquel succéda Marthe Philipp (1922-2007) en 1972, spécialiste de phonologie et dialectologie, puis, en 1989, Gertrud Gréciano (1940-2020).
Depuis les années 1970, l’Institut d’études germaniques, renommé « Département d’études allemandes », a connu de nombreux changements, dont son transfert du Palais universitaire sur le campus de l’Esplanade en 1966-67, la « concurrence » de nouvelles filières comme celle des Langues étrangères appliquées (LEA), la forte augmentation du nombre d’étudiants et d’enseignants-chercheurs et la mise en place d’une organisation interne moins hiérarchique grâce à l’instauration d’un directoire.
Depuis les années 2000, les études d’allemand, à Strasbourg comme ailleurs, subissent de plein fouet l’effet conjoint de la perte d’attractivité des sciences humaines en général et de l’allemand langue étrangère en particulier. Pour tenter de contrer cette tendance, le Département a élargi et internationalisé son offre de formation, notamment en proposant des formes d’enseignement mieux adaptées aux besoins spécifiques de certains publics (enseignement à distance aux niveaux licence et master), des contenus nouveaux (théâtre, cinéma, variation linguistique), de nombreuses possibilités de stages et de séjours dans les pays germanophones, et, plus récemment, par l’ouverture, en coopération avec l’université de Fribourg-en-Brisgau, du parcours de licence transfrontalier « La germanistique dans une perspective franco-allemande » ; en 2021 a été mis en place un parcours de Master présentiel « Dynamiques sociales et culturelles », proposant des profils variés et des séminaires pluridisciplinaires portant sur des thèmes d’actualité. Sur le plan de la recherche, l’accent est mis, conformément aux orientations actuelles dans le domaine des sciences humaines et sociales, sur le décloisonnement disciplinaire et le dialogue de la germanistique avec les autres domaines des SHS.
(rédaction : Vincent Balnat)
[1] Ce qui nécessitait de susciter l’intérêt de la population alsacienne pour l’université, notamment au moyen de manifestations culturelles hors les murs. Autre signe de cette volonté de reconquête, l’afflux massif d’ouvrages issus des fonds des bibliothèques de l’empire, qui firent de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek, puis de sa descendante, l’actuelle Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, la bibliothèque la mieux dotée en ouvrages de cette époque en France.
[2] L’expression est fréquente dans la littérature portant sur l’histoire de l’université durant cette période.
[3] Ils firent carrière à la Sorbonne (Ch. Andler également au Collège de France). À partir de 1918, Andler participa à la mise en place de la future Faculté des lettres et au recrutement des germanistes de l’Institut.
[4] La création du Département de dialectologie alsacienne et mosellane en 1959 marque la séparation institutionnelle de la dialectologie et des études d’allemand. On trouvera plus d’informations sur l’historique du département de dialectologie chez Huck (2014) et sous https://langues.unistra.fr/dialectologie.
[5] Cette revue biannuelle publie des études portant sur la littérature et l’histoire culturelle des pays de langue allemande (https://pus.unistra.fr/collection-revue/recherches-germaniques/ ; journals.openedition.org/rg/).
[6] Il œuvra également pour la mise en place d’un enseignement de Langue et culture régionales et pour la création d’une option d’alsacien au CAPES d’allemand.